Science

Quand la recherche devient un jeu dangereux : le scandale des « phrases torturées »

2025-01-05

Auteur: Léa

Le concept de « conscience contrefaite » en lien avec l'intelligence artificielle dans des publications scientifiques pourrait sembler absurde, mais il fait partie d'un phénomène inquiétant : les « phrases torturées ». Cette pratique, consistant à remplacer des mots par des synonymes pour plagier des articles, soulève de nombreuses préoccupations sur l’intégrité du monde scientifique.

Prenons un exemple frappant : la traduction de la « barrière hémato-encéphalique », un filtre qui protège le cerveau de nombreuses toxines. Ce terme est parfois déformé en « blood mind boundary » ou « blood-brain obstruction », des tournures qui n'ont aucune valeur scientifique. Les chercheurs ont constaté que certains d’entre leurs collègues, cherchant à multiplier leurs publications, ont recours à cette méthode pour contourner les outils anti-plagiat. Mais les conséquences de cette fraude peuvent être désastreuses pour la crédibilité de la recherche.

Cyril Labbé et Guillaume Cabanac ont étudié ce phénomène et ont introduit le terme « phrases torturées » pour désigner ces substitutions de textes. Des exemples notables incluent le terme « counterfeit consciousness » pour « artificial intelligence ». Tandis que la plupart des plagiaires font cela par pur opportunisme, il existe aussi des cas de chercheurs venant de pays en développement qui, face à des enjeux de survie académique, ressentent une pression pour publier coûte que coûte.

Pour lutter contre cette tendance, Cabanac a développé le Problematique Paper Screener, une plateforme qui répertorie plus de 6000 exemples de phrases torturées. Bien que moins de 3000 articles aient été rétractés sur plus de 17 000 identifiés comme portant des phrases trompeuses, il s'agit d'un problème ancré dans la culture de publication actuelle. Une majorité des articles concernés proviennent des domaines biomédical et informatique, souvent plus enclins à cette pratique que d'autres disciplines.

Il est aussi essentiel de considérer la langue anglaise, souvent utilisée par des chercheurs non natifs comme une barrière supplémentaire. Ces derniers traduisent parfois littéralement des expressions de leur langue maternelle, rendant le texte encore plus opaque. Cet amalgame de jargon scientifique accentue la difficulté d'identification des problèmes, tant pour les spécialistes que pour les néophytes.

Sur le plan éthique, la question du plagiat engendre de nombreuses réflexions. Qui est à blâmer lorsque cela est découvert ? Les comités de rédaction, souvent jugés responsables de la publication de telles œuvres, sont pris au piège dans un système où l’accent est mis sur la quantité plutôt que sur la qualité des recherches. Cette situation ouvre un débat sur la norme de publication en sciences et sur la manière dont ces mécanismes encouragent une culture de réputation fondée sur des publications faciles, mais vides de sens.

Pourtant, cette crise des phrases torturées pourrait être la manifestation d'un système en pleine dérive, où l'intensification de la pression pour publier nuit aux fondements mêmes de la recherche. Les journaux académiques, qui tirent profit des frais de publication sans rémunérer adéquatement les chercheurs qui fournissent des critiques de paires, méritent une remise en question sur leur modèle.

Des initiatives émergent dans le but de restaurer l'intégrité de la recherche. Des publications positionnées en tant que plateformes de partage collaboratif voient le jour, soulignant l'importance de créer un écosystème scientifique plus transparent où les résultats sont partagés comme un bien commun. Par exemple, si l'on considère la société AddGene, qui met à disposition des ressources génétiques, on peut envisager un futur où la collaboration prime sur la compétition.

En somme, la communauté scientifique doit se rassembler pour réinventer ses pratiques de partage et de publication. Au lieu de se concentrer uniquement sur des mesures de performance quantitatives, il est crucial de redéfinir les normes d’intégrité. Ce changement commence par reconnaître que les recherches sont un effort collectif, où la qualité des contributions doit passer avant leur quantité, pour finalement redonner un sens à la recherche scientifique.