Monde

De l'opulence à la prison : la descente aux enfers de Samir Jaieb

2025-03-09

Auteur: Louis

La chute de Samir Jaieb, un magnat de l’immobilier et investisseur en hôtellerie, a été aussi rapide qu'effrayante. Le 21 février 2025, il a été condamné à cinq ans et un mois de prison par la chambre correctionnelle spécialisée dans les affaires de corruption financière. Jusqu'alors peu enclin à se mettre sous les projecteurs, cet homme d'affaires s'est vu propulsé au cœur d'un scandale judiciaire mêlant argent, pouvoir et intrigues au sein de l'État tunisien. Avec des ambitions démesurées et des soupçons de collusion avec des personnalités influentes, son parcours est celui d’un « self-made man » controversé.

À 61 ans, Samir Jaieb a bâti un empire entre la France, les États-Unis et la Tunisie. Fils d'immigrés tunisiens, il a passé plus de 55 ans en France avant de choisir de s'installer à Sousse, la terre de ses ancêtres. Diplômé d'une école de commerce, il débute sa carrière en tant qu'auto-entrepreneur, se lançant dans le transport terrestre et la vente de voitures d’occasion. Cependant, sa soif de succès le pousse rapidement vers l’immobilier.

En 1991, il commence à promouvoir des projets immobiliers en Île-de-France, réalisant de nombreux projets résidentiels et commerciaux qui l'amènent jusqu’à Miami, où il investit dans des villas de luxe sur Palm Island et Hibiscus Island. En parallèle, il développe son activité en Tunisie, où il réalise d'importants complexes résidentiels et hôteliers habilement situés à Sousse, Monastir et Tunis, le propulsant comme un entrepreneur audacieux dans le monde de l'immobilier.

Sa passion pour l'hôtellerie se révèle notamment lorsque, après avoir acheté et rénové l'hôtel El Mechtel à Tunis pour cinquante millions de dinars, il le divise en deux enseignes internationales, témoignant ainsi de son flair pour les affaires. Il acquiert également Le Palace à Gammarth, un établissement autrefois propriété de Belhassen Trabelsi, l'ancien beau-frère de l'ex-président Ben Ali, montrant sa capacité à redresser des entreprises en difficulté.

Cependant, derrière les façades de succès, des zones d’ombre commencent à émerger. En octobre 2024, alors qu'il semble se développer sans entrave, la justice tunisienne commence à s’intéresser de près à ses opérations financières.

L’affaire éclate avec l’émission d’un mandat de dépôt à son encontre en octobre 2024, l’accusant à la fois de blanchiment d’argent et de corruption administrative lors de ses acquisitions. La justice lui reproche d'avoir détenu des devises étrangères illégalement et d'avoir ouvert des comptes à l'étranger sans l'aval de la Banque centrale. Les accusations ne s'arrêtent pas là, il se retrouve également lié à plusieurs personnalités influentes au sein du pouvoir.

Un nom revient souvent : Makram Jlassi, ancien conseiller au cabinet de la ministre de la Justice, également emprisonné. Son rôle soulève beaucoup de questions. A-t-il facilité des transactions frauduleuses, utilisant son statut pour le bénéfice personnel? Ce réseau de connexions soulève des craintes quant à la corruption systémique au sein des institutions tunisiennes.

En plus de Jlassi, d'autres figures importantes sont citées, comme Hakim Hammami, ancien directeur général de la police judiciaire. Les mandats de dépôt se multiplient contre des proches du pouvoir, laissant insinuations sur un réseau de complicité à un niveau élevé.

Quand la pression judiciaire augmente, Samir Jaieb reçoit des avertissements de ses contacts influents. Évaluant la menace, il fuit en France pour évaluer la situation. Cependant, malgré les conseils de prudence, il choisit de revenir pour faire face à la justice. Ce retour s’avère fatal : il est immédiatement arrêté.

Le jugement prononcé le 21 février 2025 le condamne à cinq ans et un mois de prison. En plus, tous ses biens et comptes sont gelés, et ses opportunités immobilières sont suspendues. Cette sentence porte un coup dur à cet homme d'affaires dont la fortune était estimée à plusieurs centaines de millions d'euros.

Son avocat, Maître Fakher Gafsi, clame la manipulation, assimilant l'affaire à une simple infraction mineure, reiterant la thèse d’une chasse aux sorcières orchestrée par des instances jouant sur des intérêts particuliers. Il promet des poursuites contre ceux qui diffuseraient des informations erronées.

Ce scandale met en lumière la complexité des relations entre le secteur privé et le pouvoir en Tunisie. La situation de Samir Jaieb pose des questions sur l’intégrité de la justice et sur la manière dont des dossiers sensibles sont gérés dans le pays. Son procès pourrait bien masquer des luttes de pouvoir plus profondes.

Bien que Samir Jaieb soit derrière les barreaux, son avenir judiciaire n’est pas scellé. Son avocat a annoncé un appel, espérant retourner la situation lors d’un procès en appel. Mais cet événement représente bien plus qu'une simple défaite personnelle. C'est un exemple des tensions persistantes entre les milieux d'affaires et l'État en Tunisie, alimentant un climat d'incertitude où le judiciaire et le politique s'entrelacent, mettant en péril la stabilité économique.