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REPORTAGE. "Ils ont tout effacé" : le village d'Esteville se remet des révélations sur les violences sexuelles de l'abbé Pierre

2025-01-18

Auteur: Michel

Un à un, les panneaux annonçant l'héritage de l'abbé Pierre ont été enlevés dans le village d'Esteville, en Seine-Maritime. Cette commune, autrefois fière de son association avec cette figure emblématique de la lutte contre le mal-logement, se retrouve aujourd'hui perplexe après les graves accusations qui ont émergé en juillet 2024, accusant l'homme d'Église de violences sexuelles. Alors que neuf nouvelles accusations ont fait surface dans un rapport publié le 13 janvier, franceinfo a visité ce village de 500 âmes, en quête de renouveau mais tiraillé par des sentiments ambivalents.

Le majestueux manoir où l’abbé Pierre avait élu domicile dans les années 1990 se dresse toujours, mais ses portes sont désormais closes. Emmaüs et la Fondation Abbé-Pierre ont jugé impossible de maintenir un lieu de mémoire qui glorifie une personnalité désormais controversée. Cette décision a eu des conséquences lourdes pour les neuf employés du centre, licenciés dans une lettre reçue peu après Noël, comme l'indique "ici Normandie".

"C'est tellement triste maintenant"

La fermeture du centre a affecté le village, dont l'attractivité reposait en grande partie sur la notoriété de l’abbé. Guillaume, un habitant de 40 ans, se souvient des temps où des groupes de visiteurs venaient "en pèlerinage" à Esteville : "C'est devenu bizarre, il n'y a plus de cars, plus d'enfants dans les rues." Le bruit d’un tracteur brise soudainement cette mélancolie; il transporte l’un des chalets qui se trouvait dans le parc attenant au manoir, sur lequel était peint le visage de l’abbé accompagné d’un enfant.

Le retrait de l'héritage de l'abbé ne se limite pas au bâtiment. De nombreux équipements du manoir ont été transférés à d'autres centres Emmaüs. "On a reçu des outils, des meubles, mais cela ne compense pas la perte," ajoute un membre d’Emmaüs, visiblement abattu. De son côté, la municipalité a récupéré des barnums, des tables et chaises, pour alléger quelque peu la pénibilité des circonstances, souligne le maire d'Esteville, Manuel Grente.

Les fantômes de l'icône déchue

Patricia, une autre habitante du village, a également vu le chaos s'installer : "Ils ont tout vidé, j'ai vu passer les camions," dit-elle depuis la fenêtre de sa pension de famille. Malgré cette débâcle, la Fondation Emmaüs continue de faire vivre l’établissement au cœur du souvenir de l'abbé Pierre, laissant les residents en situation de précarité dans un bâtiment partiellement vide, où l'ombre du passé pèse lourdement.

Le poids de cet héritage est également ressenti par l'école locale, autrefois renommée au nom de l'abbé Pierre. Sous la pression des événements, le groupe scolaire a changé de nom, et la plaque emblématique a été retirée. Cette mesure, cependant, est controversée. Une résidente âgée fait remarquer : "C'est grâce à lui que nous avons notre école." Pour le maire, le débat à ce sujet est clos : "Il est impensable de garder le nom de l’abbé sur une école alors qu’il est accusé d'agressions sur mineurs."

Le maire n’a pas pu éviter les remous que cette affaire a provoqués. Le village a fait face à une avalanche de journalistes à la suite des premières révélations, provoquant un tumulte sans précédent. De plus, des menaces de toutes parts ont été reçues par la mairie, ajoutant encore à la pression sur les populations locales.

Cependant, il reste encore quelques traces de l'abbé Pierre à Esteville. Une fresque colorée à son effigie est toujours visible, mais devrait disparaître d'ici l'été prochain, recouverte par un nouvel artiste, financé par la fondation. Même la tombe de l'abbé, qui se trouve au cimetière du village, a été touchée par cette tempête de révélations. Une plaque gravée avec l'épitaphe "Il a essayé d’aimer" a été retirée, symbolisant un chapitre douloureux pour Esteville, qui a perdu bien plus qu'une figure emblématique.