
"Nous sommes passés de la science au cirque" : l’analyse frappante de Vaclav Smil sur la transition énergétique
2025-04-06
Auteur: Marie
Si vous pensez que la transition énergétique est un jeu d’enfant, alors n’allez surtout pas lire les œuvres de Vaclav Smil. Cet expert tchéco-canadien, reconnu internationalement pour ses analyses sur l'énergie et les ressources, est un réaliste clairvoyant qui s’attaque aux fausses solutions et aux discours simplistes. Ses recherches, basées sur des données quantitatives impressionnantes, captivent un large éventail de lecteurs, allant de Chris Wright, un climatosceptique influent aux États-Unis, à Bill Gates, qui attend ses publications comme un fan attend une nouvelle saison de sa série préférée. David Keith, professeur à Harvard, qualifie même Smil de "meilleur antidote contre la désinformation".
Dans son dernier ouvrage, intitulé *2050. Pourquoi un monde sans carbone est presque impossible* (éd. Arpa), récemment traduit en français, ce professeur émérite à l'Université de Manitoba explore l'objectif de neutralité carbone que l’Union européenne et d'autres se sont fixé pour 2050. Selon lui, à moins d’un cataclysme ou d’investissements colossaux, cet objectif semble tout simplement illusoire. "Les transitions se font en rampant, non en courant", déclare Vaclav Smil, qui souligne l'inertie des technologies existantes et la difficulté des nouvelles solutions à remplacer les anciennes.
Pourquoi la neutralité carbone est-elle presque impossible d’ici 2050 ?
"Ce n'est pas que ce soit entièrement impossible, mais cela relève de l'utopie", précise Smil. Il estime que sans des efforts massifs d’investissement étalés sur plusieurs décennies, une véritable transformation de nos sociétés sera inaccessible. Il envisage deux scénarios : l’un qui pousse à une mobilisation sans précédent, l’autre qui propose une réduction volontaire de notre consommation d’énergie, en abaissant notre niveau de vie.
Sans ces deux ponts, il est crucial de se rappeler la grande transition énergétique historique - le passage de la biomasse aux combustibles fossiles - et d’utiliser cette expérience pour éviter de sous-estimer les défis tels que l'ingénierie, les matériaux, et les dynamiques sociopolitiques.
À quel moment pourrait-on envisager une réelle avancée vers la neutralité carbone ?
Vaclav Smil se montre prudent en répondant à cette question. Il indique que les combustibles fossiles, qui représentaient 86 % de notre mix énergétique il y a 25 ans, ne sont passés qu'à 82 % aujourd'hui. À ce rythme, le passage au zéro carbone semble bien loin. Peut-être pourrions-nous y parvenir d'ici 2100, si tout se passe bien.
Quelle sera la répartition énergétique mondiale en 2050 ?
La société norvégienne DNV a réalisé des prévisions réalistes, indiquant un passage d’une répartition actuelle de 80 % de fossiles et 20 % de renouvelables à une parité de 50/50 d’ici 2050. Bien que cela représente une diminution substantielle des combustibles fossiles, il est encore loin d’un monde totalement décarboné. Atteindre même une répartition de 40/60 exigera des politiques audacieuses et un engagement soutenu.
Face à ces défis, les gens se demandent si nous ne dévions pas de la bonne direction ?
Oui, en effet. Depuis le protocole de Kyoto en 1997, l'utilisation des combustibles fossiles a augmenté de 55 %. Aujourd'hui, les énergies renouvelables, bien que croissantes, ne représentent encore que 12 % de notre électricité mondiale. Le chemin à parcourir est encore long, et les nouveaux soutiens comme l’hydrogène vert n’ont pas encore prouvé leur efficacité à grande échelle.
Quelles solutions pourraient réalistement soutenir la décarbonation de nos sociétés ?
Smil avertit que le chemin vers le "zéro émission de carbone" d'ici 2050 semble se moquer de la complexité réelle du sujet. Ses solutions réalistes nécessitent une activation de l'économie mondiale à un niveau jamais atteint, mais l’histoire a montré que les transitions énergétiques prennent du temps. Par exemple, le passage du charbon au pétrole a nécessité un siècle.
Parlons de l’avenir de l’énergie : le nucléaire peut-il être la réponse ?
Le nucléaire connaît un regain d’intérêt, en raison de son faible niveau d’émissions de CO2. Cependant, Smil souligne que les nouveaux réacteurs impliquent des investissements colossaux et des retards fréquents. La voie vers une énergie nucléaire généralisée est parsemée d’embûches, et le secteur manque de la créativité nécessaire pour répondre rapidement aux besoins croissants.
En conclusion, sommes-nous trop optimistes face à la technologie ?
Oui, nous fantasmons sur des solutions technologiques sans réaliser l'inertie des systèmes en place. Les transitions se font lentement, et souvent les données historiques sont ignorées. Peut-être devrions-nous redoubler d’efforts en matière de recherche et de développement, tout en gardant un regard critique sur les promesses technologiques. Malgré tout, les défis à surmonter demeurent complexes et le chemin vers une transition énergétique efficace reste semé d’embûches.