"J'ai mis un mouchoir dessus" : au procès des viols de Mazan, le grand déni des accusés face aux violences sexuelles subies dans l'enfance
2024-11-16
Auteur: Pierre
Mercredi 6 novembre, dans une salle d'audience où l'émotion était palpable, Cédric G., un homme de 50 ans décrit par ses ex-compagnes comme violent et pervers, a partagé son expérience lors du procès des viols de Mazan. Accusé d'avoir violé Gisèle Pelicot dans la nuit du 3 au 4 octobre 2017, il a profondément été marqué par son enfance. Malgré les allégations portées contre lui, Cédric G. lutte avec la notion même de viol, préferant parler de "vol". "Je pense que ne pas utiliser le terme adéquat m'aide à faire face à ce dont je suis accusé aujourd'hui", a-t-il déclaré.
Cet homme, qui a grandi dans une fratrie de quatre enfants à Avignon (Vaucluse), raconte avoir connu des abus sexuels dès l'âge de 12 ans, infligés par un membre de sa famille. La mort de son oncle, responsable de ces abus, lui a permis de mettre un voile sur ces événements tragiques. "C'est terrible parce que j'ai mis un voile, je pense que j'ai fait un déni de la chose", confie-t-il, montrant à quel point ces souvenirs restent douloureux et souvent inaccessibles.
Cédric G. n'est pas seul dans cette situation. Selon Walter Albardier, psychiatre et responsable d'un centre de ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (Criavs), plus d'un quart des accusés dans ce procès déclarent avoir eux-mêmes subi des violences sexuelles dans leur enfance. Cela soulève des questions sur la relation entre victimes et agresseurs : "On discute souvent de ce cycle de violence. Le fait de devenir agresseur est souvent influencé par les abus qu'ils ont subis", explique-t-il. Cette observation remet en question la croyance selon laquelle la majorité des abusés deviendraient des abuseurs.
Le procès a également révélé des récits de victimes qui n'avaient jamais partagé leurs expériences auparavant. Ludovick B., par exemple, a révélé avoir été violé à 12 ans par le beau-père d'un de ses amis lorsqu'il a été placé en détention en 2021. Son agresseur, Fabrice Motch, a déjà été condamné pour des faits similaires. Cette réalité souligne combien il est crucial de donner une voix à ces victimes, souvent retenues dans le silence.
Ce procès fait également émerger la nécessité d'un travail psychologique pour les accusés. Beaucoup d'entre eux, comme Simone M., éprouvent de la difficulté à parler de leurs traumatismes, se décrivant as souvent comme "incapables d'identifier leurs émotions". Walter Albardier souligne que la stigmatisation et le tabou autour de la sexualité masculine engendrent des comportements de déni. Cela conduit à de nombreuses addictions, notamment à travers la pornographie et à des comportements sexuels problématiques.
Les femmes continuent d'être les principales victimes de violences sexuelles, représentant environ 85% des cas, alors que la majorité des agresseurs sont des hommes. Ce constat renvoie à des structures sociétales patriarcales, où un homme victime d'abus peut se tourner vers la violence comme réponse. Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l'association Mémoire traumatique et victimologie, met en lumière les différences de comportement entre hommes et femmes, où les victimes féminines tendent à s'automutiler ou à adopter des comportements d'évitement, tandis que les hommes expérimentent souvent la violence.
Le procès des viols de Mazan est donc bien plus qu’une affaire judiciaire ; il met en lumière des vérités troublantes sur la violence sexuelle et le déni qui l’entoure. Alors que ces témoignages continuent d’émerger, il est essentiel de briser ce silence autour des violences sexuelles, tant pour les victimes que pour ceux qui, dans leur déni, perpétuent ce cycle de violence.