INTERVIEW. Projet Neom en Arabie saoudite : "Mohammed ben Salmane est en train d'échouer, malgré les milliards", affirme le réalisateur d'un documentaire sur le prince
2025-01-19
Auteur: Julie
Vision 2030
Voilà le nom du plan stratégique ambitieux lancé par le prince Mohammed ben Salmane, surnommé "MBS", en 2016. Son objectif ? Transformer l'Arabie saoudite en un hub touristique et en un leader dans le développement des énergies renouvelables. Le documentaire "MBS, l'Arabie du futur" réalisé par Walid Berrissoul, diffusé le dimanche 19 janvier sur France 5, explore l'ascension fulgurante de ce prince de 39 ans qui rêve de faire de son royaume le leader incontesté du monde arabe et un partenaire privilégié pour l'Occident.
Le film se penche également sur le projet Neom, une ville futuriste intégrée dans la "Vision 2030", censée incarner la modernité et l'innovation. Pourtant, ce projet soulève des questions brûlantes sur les réalités derrière les promesses d'ouverture et de modernisation, alors même que le régime saoudien continue de réprimer ses opposants.
Franceinfo.fr : Avez-vous informé les autorités saoudiennes de votre projet avant de réaliser le film ?
Walid Berrissoul : Oui, tout à fait. Nous avons été ouverts avec eux concernant nos intentions, sans toutefois leur révéler les noms des opposants politiques que nous allions interroger. Nous avons tenté de produire un documentaire juste et équilibré, sans parti pris, évoquant cependant des sujets sensibles tels que les droits de l'homme, la répression des opposants et la situation des femmes. Bien que cela ne soit pas courant, ils ont finalement accepté, comprenant notre volonté de dévoiler la complexité de la réalité saoudienne.
Depuis près d'une décennie, MBS est à la tête du royaume.
Dans le contexte de cette mégalomanie qu’est Neom, il est crucial d’analyser l’évolution de la situation politique et sociale du pays. Ce film constitue une projection vers un avenir à la fois prometteur et incertain.
Les opposants politiques saoudiens en exil ont-ils hésité à se confier à vous ?
Non, au contraire. Ils souhaitent faire entendre une voix alternative à celle du régime. Leur diaspora, bien que petite, s'est intensifiée notamment depuis 2017, moment où MBS a mis en œuvre des réformes censées apporter des changements positifs, comme l'ouverture des salles de cinéma et des libertés accrues pour les femmes. Cependant, ces réformes coexistent avec une répression exacerbée.
MBS détient un pouvoir sans précédent, tant politique qu'économique...
Mohammed ben Salmane centralise absolument tous les pouvoirs. Sa montée fulgurante est quelque chose que personne n'aurait prévu. Ayant été considéré comme un prince moins influent, sa détermination pour s'imposer a été impressionnante. Après avoir été nommé ministre de la Défense à seulement 30 ans, il a engagé le pays dans un conflit au Yémen, puis écarté son cousin pour prendre les rênes du pouvoir. Sa reputation a été ébranlée, notamment après l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi en 2018, un acte qui a révélé la brutalité de la répression en cours.
Sa gouvernance est-elle influencée par le fait qu'il n'a pas étudié à l'étranger ?
Effectivement, alors que de nombreux membres de la royauté ont étudié à l’étranger, MBS lui a toujours évolué à Ryad. Cette situation lui a permis de comprendre les rouages internes du pouvoir, mais peut également expliquer son approche autocratique. Il ne dirige pas en tenant compte des dynamiques familiales traditionnelles, mais adopte plutôt un style très directe et entrepreneurial.
Le projet Neom a-t-il un objectif écologique au cœur de sa conception ?
Oui, mais malgré l'investissement colossal, le projet est en train de rater son but. La ville écologique prévue, "The Line", censée s'étendre sur 170 km, a été réduite à 2,5 km en raison de problèmes d'organisation et de gestion. Ce projet, qui est la pierre angulaire de "Vision 2030", doit faire face à d'importants défis, y compris des objectifs jugés irréalistes.
Et en ce qui concerne ses prétentions écologiques ?
Il est paradoxal que ce projet soit présenté comme étant respectueux de l'environnement alors qu'il contribue au détruit de la nature. Le développement des infrastructures est en contradiction avec les considérations écologiques, et les impacts sont énormes tant sur le plan financier qu’humain. MBS semble conscient des enjeux climatiques, mais cherche des solutions technologiques qui pourraient ne pas suffire.
Le documentaire "MBS, l'Arabie du futur" par Walid Berrissoul est un regard incisif sur un pays à la croisée des chemins.
Un avenir plein de promesses, mais aussi de risque. Ne manquez pas sa diffusion le dimanche 19 janvier à 21h05 sur France 5 et sur la plateforme france.tv.