INTERVIEW. "Le dialogue est rompu" : la réalisatrice Auberi Edler dépeint la lutte entre démocrates et républicains lors d'une élection scolaire américaine
2025-01-15
Auteur: Jean
Alors que Donald Trump se prépare à être investi en tant que 47e président des États-Unis le 20 janvier, un documentaire diffusé sur Arte le 15 janvier plonge au cœur des tensions d'une communauté américaine, dans le cadre d'une élection de commission scolaire à Elizabethtown, Pennsylvanie. Bien que ce scrutin puisse sembler insignifiant, il offre une perspective saisissante sur la division croissante du pays.
Intitulé "Une guerre civile : Elizabethtown, USA", ce film réalisé par Auberi Edler décrit minutieusement sans commentaire les luttes culturelles et idéologiques qui fracturent la société américaine aujourd'hui. Abordant des thèmes allant des droits des personnes LGBTQI+ au contrôle des armes à feu, le documentaire démontre à quel point les citoyens des deux bords semblent irréconciliables. Initialement nommé "Une pastorale américaine", ce projet a remporté le prix de la meilleure réalisation au Festival international du documentaire d'Amsterdam.
Dans une interview accordée à Franceinfo, Auberi Edler partage ses réflexions alors que le milliardaire populiste fait son retour sur la scène politique.
Franceinfo : Quel message souhaitiez-vous transmettre à travers votre film ?
Auberi Edler : Je voulais comprendre, au niveau humain plutôt que politique, comment l'Amérique est devenue si divisée. En se concentrant sur l'élection d'une commission scolaire, j'ai pu mettre en lumière une campagne instructive, révélatrice des tensions sociopolitiques actuelles. Ce projet a été difficile, mais il reflète bien la réalité de ce que j'ai observé.
Pourquoi avoir choisi Elizabethtown comme lieu de tournage ?
Je voulais mettre en lumière la ruralité américaine. Les médias français se concentrent souvent sur les grandes côtes, laissant de côté une majorité de la population qui vit dans les zones intermédiaires. C'est là que se trouvent les véritables pulsations de l'Amérique.
Elizabethtown présentait tous les éléments clés pour mon film : une campagne électorale locale, une église influente dans la vie politique, et un Parti républicain local dominé par des figures très religieuses et trumpistes qui poussent vers une forme de théocratie. À cela s'ajoute un petit groupe de démocrates tenaces qui tentent désespérément de se faire entendre lors de cette élection.
Pourquoi ces commissions scolaires jouent-elles un rôle si crucial sur le plan politique ?
Avant l'ère Trump, personne ne portait vraiment attention à ces commissions. C'était un travail peu rémunéré et souvent ingrat. C'est Steve Bannon qui a incité à prendre le pouvoir par la base après l'échec de l'assaut du Capitole. La droite extrême a alors investi ces comités pour façonner l'éducation des jeunes, ce qui a transformé ces commissions en cible principale d'une guerre politique.
Comment avez-vous réussi à convaincre les sujets de votre film de participer ?
Notre équipe est arrivée à Elizabethtown sans contacts préétablis, mais nous avons eu la liberté de tourner pendant plusieurs mois. Cela nous a permis d'installer un climat de confiance. Les choses se sont concrétisées lorsque la directrice de l'école a accepté notre présence dans son établissement, ce qui nous a ouvert des portes vers différents cercles politiques.
En ce qui concerne vos interactions avec les républicains, comment avez-vous gagné leur confiance ?
L'écoute a été essentielle. En passant du temps avec eux, j'ai découvert de profondes blessures au sein de la droite chrétienne nationaliste, exacerbées après l'assaut du Capitole. Ils se sentaient diabolisés par les médias, privés d'une voix pour exprimer leurs émotions. En leur annonçant que nous allions réaliser un film sans commentaires ni interviews, et couvrir les deux camps sans favoriser l'un ou l'autre, nous avons pu instaurer des liens au fil des mois de tournage.
Le documentaire témoigne d'une certaine cordialité dans les interactions entre démocrates et républicains, alors que la réalité semble plus sombre…
Dans le film, vous verrez des échanges amicaux, mais en réalité, il existe une haine latente et des frustrations des deux côtés. Il est intéressant de noter qu'il existe de nombreux points communs entre eux, mais malheureusement, la communication est bloquée.
Parallèlement, la foi joue un rôle majeur dans cette dynamique…
Certes, l'Amérique est profondément ancrée dans sa culture chrétienne, ce qui parfois échappe à la perception européenne. La polarisation des opinions politiques a été exacerbée par des éléments comme la pandémie de Covid-19 qui a mis à mal la notion de liberté individuelle. Les restrictions, telles que le port de masques, ont été perçues comme une atteinte à leurs droits, renforçant le sentiment de division.
"Ainsi, la pandémie a joué un rôle inattendu mais crucial dans la polarisation politique américaine."
Ce phénomène a fait émerger une idéologie de plus en plus religieuse qui impute une importance politique à la foi. Les églises extrémistes ont vu leur influence croître, attirant davantage de fidèles grâce à un discours axé sur des préceptes théologiques intégrés à la vie civique. Derrière cette polarisation, se cache beaucoup de douleur, le reflet d'une Amérique en pleine crise.