LE FIGARO. - Au lendemain de l’élection de Trump, Nayib Bukele, le président du Salvador, a écrit sur X : « Je suis certain que vous ne comprenez pas pleinement la bifurcation de la civilisation humaine qui a commencé hier. » Cette déclaration soulève une question cruciale : avons-nous vraiment changé de monde ?

Giuliano DA EMPOLI. - La réélection de Trump a été vécue comme une apocalypse au sens littéral : ce n’est pas la fin du monde, mais plutôt la révélation d’un nouveau paradigme. Le chaos, qui était jusqu'alors l'arme des mécontents et des insurgés, est désormais devenu hégémonique. Nous avons basculé dans une ère où règne la loi du plus fort, où les valeurs traditionnelles semblent balayées par la montée de nouveaux acteurs plus radicaux. Comme le disait Joseph de Maistre à propos de la Révolution française, « longtemps nous l’avons prise pour un événement. Nous étions dans l’erreur : c’est une époque. »

Il serait simpliste de penser que cette période de chaos ne pourrait contenir aucune structure sous-jacente. Il existe bel et bien une forme de logique au sein de l'Administration Trump, qui peut être difficile à appréhender au travers des prismes politiques classiques. Au cours des quarante dernières années, les sciences politiques ont échoué à élaborer des théories solides pour expliquer cette dynamique mouvementée. Pour la saisir pleinement, il faut aller au-delà des analyses habituelles et scruter les racines profondes de ce changement, qu’il s’agisse de la montée des populismes, des inégalités croissantes, ou encore des révolutions technologiques qui transforment nos sociétés.

Ce moment historique nous oblige à reconsidérer le rôle et la pertinence des élites. Face à ce nouveau contexte, les anciennes élites, jugées incapables de s’adapter et de réagir adéquatement, pourraient bien avoir mérité d’être écartées. Cela nous pousse à réfléchir sur l’avenir de la démocratie et du dialogue politique contemporain dans un monde de plus en plus fracturé.