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ENQUÊTE : "Terrorisés, nous restions immobiles" - Témoignages d'anciens élèves sur les horreurs de Notre-Dame de Bétharram

2025-03-21

Auteur: Pierre

Automne 2023. Alain Esquerre, un ancien élève du collège catholique Notre-Dame de Bétharram, lance un groupe Facebook dans le but d'identifier et de rassembler les victimes de violences physiques et sexuelles qui se seraient produites dans cet établissement. Scolarisé de 1980 à 1985, Alain, désormais quadragénaire, a lui-même été victime de sévices que d'autres anciens élèves commencent à dénoncer.

Dans un délai très court, de nombreux témoignages affluent, révélant non seulement des violences physiques, mais aussi des agressions sexuelles et des viols. Alain Esquerre s'engage alors à aider ces victimes en centralisant les plaintes qu’il transmet régulièrement au procureur de la République de Pau.

Une affaire au retentissement national

Devenant le porte-parole des victimes de Notre-Dame de Bétharram, Alain Esquerre interpelle publiquement le Premier ministre François Bayrou lors d’une rencontre le 15 février 2025 : "Nous, enfants de Bétharram, avons vécu dans la terreur, attendant les coups, l’humiliation quotidienne, et subissant des agressions sexuelles qui nous poursuivent encore aujourd'hui." À ce jour, plus de 180 plaintes ont été recensées dans cette enquête où des laïcs et des religieux sont accusés de violences présumées depuis les années 1950 jusqu'en 2010.

Un passé sombre de violences éducatives

Le collège Notre-Dame de Bétharram, fondé au XIXe siècle dans les Pyrénées-Atlantiques par la Congrégation des prêtres du Sacré-Cœur, a joui d'une réputation favorable pendant de nombreuses années, attirant des centaines de parents grâce à ses bonnes performances académiques. Cependant, les anciens élèves décrivent un "climat de violence généralisé" où la peur dictait leur quotidien. Alain Bourrillon, professeur pendant dix-huit ans dans l’établissement, évoque un système de pression où certains surveillants exerçaient leur emprise par la violence physique et psychologique.

Les recollections des élèves sont troublantes : douches chronométrées, sévices corporels allant jusqu'à percer des tympans, et punitions humiliantes sur le perron, où les enfants étaient exposés dans des conditions parfois extrêmes, font partie des témoignages recueillis.

Jean-Marie Delbos, un ancien élève, raconte l'horreur qu'il a vécue entre 1956 et 1959, quand un prêtre profitait de la nuit pour abuser sexuellement des jeunes endormis. Malgré leurs tentatives de dénonciation, les victimes étaient souvent réduites au silence par des menaces. Une enquête canonique ouverte en 2017 a été classée sans suite.

Des voix qui se lèvent enfin

En 1993, les premiers cas de violences physiques commencent à éclater, lorsque le tribunal de Pau condamne un surveillant qui avait infligé une gifle à un élève, provoquant une perte d'audition. Les années suivantes voient d’autres cas de violences médiatisés, notamment celui de Marc Lacoste-Seris, dont le récit témoigne de la brutalité systémique à l'œuvre au sein de l'établissement. En janvier 1995, il est victime d'une agression qui le conduit à l'hôpital pour hypothermie après avoir été puni sur le perron.

François Bayrou, dont le fils était un camarade de Marc, est directement impliqué dans l’affaire, mais il a nié toute participation dans la couverture des violences. Bien que les plaintes aient été rejetées par la justice, des procédure d'entrave sont actuellement en cours.

La vie du Père Carricart marquée par la controverse

En 1998, une nouvelle affaire éclate avec l’arrestation du Père Pierre Silviet-Carricart, un ancien directeur de l’établissement, accusé de viol sur un mineur. Le traitement de son cas soulève des questions sur l'influence politique en jeu, notamment en raison de ses liens avec de hauts fonctionnaires, dont François Bayrou.

Malgré les accusations, le Père Carricart a été libéré sous contrôle judiciaire et a même obtenu un assouplissement de ses conditions de détention pour pouvoir retourner à Rome. Sa mort, survenue en 2000, a marqué un tournant dans les affaires de violences à Notre-Dame de Bétharram, même si les plaintes continuent de faire surface.

Des groupes de victimes se forment et collectent des témoignages similaires d'abus subis dans d'autres établissements catholiques. À travers la France, cette vague de révélations éclaire des décennies de souffrances cachées, engendrant une prise de conscience collective sur la nécessité de briser le silence et de protéger les futures générations d'élèves.