ENQUÊTE. "Des collègues ont la boule au ventre le matin" : 15 ans après les tragédies chez France Télécom, Orange affronte une nouvelle crise
2024-11-13
Auteur: Julie
Cette enquête débute près de Rennes, à Cesson-Sévigné, où nous avons rencontré la veuve de Philippe Le Gall, un salarié d'Orange qui s'est suicidé en 2023. Agé de 53 ans, Philippe a consacré 32 ans de sa carrière à Orange, après avoir été fonctionnaire chez France Télécom. Sa passion pour son métier était évidente, comme le raconte sa veuve, Pascale Provot : "Quand il parlait de son travail, c'était toujours 'Orange, Orange, Orange'. Il aimait son métier et ne se plaignait jamais."
Cependant, le 13 septembre 2023, Philippe met fin à ses jours après une tentative de suicide un mois plus tôt. "Il tournait en rond dans le garage. Je lui ai demandé ce qui se passait et il m'a révélé qu'il voulait se suicider. Il m'a expliqué qu'il ne pouvait plus gérer son travail. Je pensais qu'il s'agissait d'un appel au secours, mais finalement, il a franchi le pas."
Ce jour-là, Philippe Le Gall se pend dans son garage, ajoutant son nom à une liste tragique qui s'allonge chaque année chez Orange. Depuis deux ans, une trentaine de salariés se sont suicidés, selon les syndicats, ce qui crée une atmosphère de détresse parmi les 65 000 employés de l'entreprise.
Un contexte de restructuration inquiétant
Les causes des suicides sont souvent complexes, mais pour Philippe, le lien avec son emploi est incontestable. Son suicide a été requalifié en accident du travail. En octobre, Pascale reçoit une notification de l'assurance maladie précisant que le décès de son mari est reconnu dans le cadre des risques professionnels.
La branche de Philippe faisait face à un plan de départs volontaires, entraînant la suppression de 640 postes. L'incertitude quant à l'avenir de son travail était omniprésente, comme le témoigne un de ses collègues, Christophe Cariou : "Les réseaux sur lesquels travaillait Philippe étaient en déclin en raison de l'émergence de nouvelles technologies. Son emploi était voué à disparaître."
Avec la restructuration d'Orange, de nombreux salariés expriment leurs inquiétudes. Des rapports médicaux de 2023, que nous avons consultés, révèlent une augmentation de la charge de travail, des incertitudes sur les postes et des objectifs flous, ajoutant à la pression subie par les employés.
"J'ai des collègues qui me confient qu'ils se réveillent avec la boule au ventre," indique un salarié de la région parisienne, qui a souhaité garder l'anonymat. "Certains reviennent de burn-out, et la communication de la direction sur les réorganisations insuffisante."
"En 2024, il est inacceptable que des personnes se suicident encore en partie à cause de leur travail," déclare un autre salarié, soucieux de la répétition d'une tragédie similaire à celle survenue chez France Télécom il y a quinze ans.
Les syndicats, de leur côté, craignent une répétition des événements tragiques du passé. Ils ont dressé une liste des victimes et font le lien avec les restructurations en cours, appelant à un moratoire. Cependant, la direction d'Orange reste ferme et refuse cette demande.
La direction au défi des accusations
Face à ces allégations, la direction d'Orange explique que l'entreprise doit évoluer. "Les suicides sont une affaire sérieuse, et nous avons évoqué le sujet lors du conseil d'administration d'octobre," déclare Vincent Lecerf, directeur des ressources humaines de l'entreprise. Pour chaque suicide, une enquête est systématiquement lancée.
Orange a mis en place des mesures de prévention des risques et d'accompagnement, incluant un personnel dédié composé de médecins, psychologues et assistantes sociales, totalisant 500 personnes. "Nous avons renforcé notre dialogue social pour prévenir les risques au sein de l'entreprise," insiste Lecerf.
D'un autre côté, la CFDT, contrait aux autres syndicats, soutient qu'il ne faut pas établir de comparaisons hâtives avec la crise de France Télécom, bien qu'elle exprime sa vigilance. En parallèle, la Cour de cassation doit se pencher sur les pourvois de l'ex-PDG de France Télécom, Didier Lombard, en novembre prochain, après sa condamnation pour harcèlement ayant conduit à une vague de suicides.
Un drame qui se poursuit, et une vigilance accrue sont désormais nécessaires pour éviter que l'histoire ne se répète.