Nation

Denis Salas, magistrat : « L'introduction du consentement dans la définition du viol est une réponse possible au procès de Mazan »

2024-09-26

Le procès des viols de Mazan, prévu pour durer plusieurs mois, est bien plus qu'un simple événement judiciaire ; il porte un poids symbolique énorme. Avec près de cinquante accusés, des actes odieux de viols par soumission chimique orchestrés par un mari à l'encontre de sa femme, ce procès met en lumière des réalités troublantes. La variété des profils des accusés, représentés de tous âges et de divers milieux sociaux, témoigne de l'universalité du problème. Le retentissement médiatique est mondial, accompagné par des rassemblements féministes en plein essor, soulignant l'importance de ce cas dans le récit contemporain sur la violence à l'égard des femmes.

On compare souvent l'impact de ce procès à celui du procès d'Aix-en-Provence, qui en 1978 a permis à l'avocate Gisèle Halimi de faire évoluer la définition criminelle du viol. Cependant, ce qui distingue cette époque, c’est le mouvement #MeToo, qui a modifié les perceptions et les conversations concernant le consentement et les violences sexuelles. Affirmer que ce procès nous confronte au patriarcat serait cependant réducteur, car il souligne également les évolutions significatives du rituel judiciaire et du statut de la voix des victimes dans l'espace public.

Dans les années 70, le déni du viol était omniprésent dans l'imaginaire collectif. Les plaignantes, défendues avec bravoure par Halimi, peinaient à convaincre les juges qui considéraient souvent leurs témoignages comme de simples violences corporelles. La nécessité d'articuler leurs expériences, de prouver qu'elles avaient subi des actes de violence sexuelle, pour rompre le silence ambiant, était essentielle. À l'extérieur du tribunal, les accusés bénéficiaient d'un soutien indéfectible de la part de la communauté locale, mais la médiatisation de ces procès a permis de commencer à ébranler des idées préconçues et ancrées depuis longtemps.

Sans ce procès, l'ampleur et l'horreur des violences auxquelles de nombreuses femmes sont confrontées seraient restées largement invisibles. En France, la qualification de viol bénéficie d’un cadre juridique élaboré, avec une juridiction spécifique dédiée aux affaires de mœurs. Les victimes y ont la possibilité de se constituer partie civile, un droit encore rare dans de nombreux pays. Dans ce cadre, chaque voix compte et peut être entendue, ce qui justifie la complexité et la durée de ces procédures. Les accusés, quant à eux, ne doivent pas être considérés comme une représentation de la masculinité toxique, mais comme des individus jugés pour leurs actes, présumés innocents jusqu'à preuve du contraire.

Le procès est aussi un choc émotionnel pour les parties civiles. Lorsqu’une personne a été réduite à néant, il est naturel d’espérer que l’auteur de ces actes puisse éprouver une compréhension de son mal, qu’il se distancie de ses actes, et qu’un procès puisse amener l’accusé à se reconnecter à une conscience morale qu'il aurait perdue. Le viol, en tant qu'acte déshumanisant, crée un déséquilibre de pouvoir ; cependant, le fait de confronter l'auteur de ces actes à ses victimes peut renverser cette dynamique. L'acte de se dévoiler, d'éventuellement demander pardon, même si cela reste exceptionnel, peut amorcer un processus de réhumanisation pour l'accusé et sa victime. Ce procès pourrait ainsi devenir une plateforme pour faire évoluer les mentalités, rappeler que le respect du consentement est fondamental face à l'horreur des violences sexuelles.