"Je ne pensais jamais que je ne serais plus entendue." C’est avec ces mots que Sonia exprime le profond bouleversement engendré par sa contraction du Covid-19 fin décembre 2021. Après avoir ressenti les premiers symptômes, elle se retrouve terrassée par une fatigue intense, l’empêchant de sortir du lit. Son généraliste, suspectant un burn-out, ne comprend pas sa détresse. "Il ne me croyait pas," se remémore-t-elle avec amertume. Au printemps 2022, une consultation éprouvante devient déterminante, laissant Sonia avec un sentiment d'incompréhension. Son parcours médical chaotique dure deux longues années avant qu'un spécialiste ne la diagnostique enfin avec un Covid long. Désormais méfiante, elle arrive à chaque rendez-vous avec un classeur rempli de documents médicaux et d'études scientifiques, n’ayant pas perdu confiance en la médecine mais faisant face à une réserve envers le système de santé.

Cette méfiance est partagée par un nombre croissant de patients, qui effectuent leurs propres recherches avant d’aller chez le médecin. Un rapport de l'Académie de médecine souligne cette tendance : les patients d'aujourd'hui souhaitent être des acteurs de leur santé. Jean-Christophe Nogrette, secrétaire général adjoint de MG France, note que cette volonté de participer aux décisions médicales s'est intensifiée depuis la crise sanitaire, bien que cela pose des défis pour de nombreux praticiens. "Il faut prendre le temps d'expliquer et de convaincre, mais tous les médecins ne peuvent pas se le permettre," ajoute-t-il.

La vaccination est au cœur de tensions croissantes, où les patients, influencés par des théories complotistes, remettent en question les conseils médicaux. Jérôme Marty, président du syndicat des médecins libéraux, alerte sur l’augmentation des violences verbales envers les médecins et la méfiance envers les vaccins. Les statistiques révèlent également des taux de vaccination alarmants : seulement 54% des personnes de plus de 65 ans ont été vaccinées contre la grippe pendant la campagne 2023-2024, et le taux a chuté à 30,2% pour le Covid-19.

Il est rare que les patients expriment leurs préoccupations de manière directe. Caroline Di Lorenzo-Kas, médecin généraliste à Bordeaux, observe que les patients sont souvent le reflet de l’attitude de leurs médecins. Valérie, pour sa part, préfère éviter le sujet des vaccins lors de ses consultations, craignant que son médecin ne puisse pas s’exprimer librement. Plusieurs témoignages récoltés par franceinfo révèlent que certains patients considèrent que leurs médecins se livrent à une "propagande" concernant la vaccination.

Face à cette défiance, les soignants doivent jongler entre différentes stratégies. Nicolas Winter, urgentiste, évoque la nécessité de signaler les cas de vaccination non à jour, mais reconnait que ce genre de conversation peut être délicat. Brigitte Virey, pédiatre à Dijon, constate que les certificats de vaccination falsifiés circulent de plus en plus, témoignant d’une résistance chez certains parents.

Cependant, une grande majorité des Français maintient une solide confiance envers leurs médecins. Thomas Touchard, dans sa thèse sur l'impact du Covid-19 sur cette confiance, révèle que bien que 10 à 15% des patients aient adhéré à des théories complotistes, cela ne reflète pas l'opinion générale. Une étude commandée par France Assos Santé a montré que 91% des patients évaluent positivement leur relation avec les professionnels de santé.

Malgré la prévalence des théories du complot sur les réseaux sociaux, Michel Dubois, sociologue, souligne que ces idées ne concernent qu'une fraction de la population. D'après son étude, beaucoup de Français restent rationnels face à la vaccination. Quant à Yvon Le Flohic, médecin généraliste, il atteste que dans son cabinet, le phénomène du complotisme est rare. Une de ses patientes, pourtant engagée dans le discours complotiste, a tragiquement perdu la vie à cause du Covid-19 après avoir ignoré les conseils de vaccination.

Cette situation met en lumière un écart croissant entre les attentes des patients et la réalité des médecins, exacerbée par la crise du Covid-19. Alors, la confiance entre les patients et les médecins est-elle réellement mise à mal ou est-ce simplement une adaptation nécessaire dans un paysage médical en perpétuelle évolution ? C'est une question que la société continue d'explorer, alors que nous avançons vers un avenir où les relations médicales doivent s'adapter aux défis contemporains.