Science

REPORTAGE. "Il y a urgence, il faut sortir de nos labos" : des scientifiques en rébellion pour le climat

2025-01-13

Auteur: Léa

L'action a été rapide et percutante. Ce vendredi 22 novembre, des militants écologistes ont investi une piste cyclable près des locaux de Schneider Electric dans le quartier de la Presqu'île de Grenoble (Isère). En quelques minutes, les activistes ont déployé leurs échelles et pénétré dans l'enceinte de l'entreprise pour creuser une tranchée et ériger un derrick, accompagnés de panneaux indiquant "scène de crime climatique". "Nous sommes ici pour dénoncer l'hypocrisie de Schneider Electric, prétendant ne pas soutenir les énergies fossiles tout en étant partenaire du projet Eacop, un pipeline massif porté par TotalEnergies", explique Fabienne Barataud, géographe à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), brandissant une bâche frappante "Schneider Electric complice".

Un appel urgent à l'action

Cette tranchée ainsi creusée symbolise celle que devra tracer TotalEnergies à travers l’Ouganda et la Tanzanie pour son oléoduc Eacop, prévu pour 2025. Les opposants au projet le qualifient de "bombe climatique", Schneider étant chargé de l'infrastructure électrique. Les manifestants cherchent ainsi à pousser l'entreprise à se retirer du projet.

"Convaincre Patrick Pouyanné, le PDG de TotalEnergies, semble impossible, mais si tous les partenaires commencent à se retirer, Total sera dans une position très délicate", déclare Laurent Husson, géologue au CNRS. De nombreuses banques et sociétés d'assurance ont déjà pris leurs distances. Contacté, Schneider Electric a annoncé envisager une plainte et a défendu son rôle dans Eacop en invoquant une promesse d'amélioration des normes de sécurité et de réduction des émissions de gaz à effet de serre liées au projet.

Un mouvement né d'une frustration croissante

Entre scientifiques et militants d'ANVCOP21 ou d'Extinction Rébellion, il y a un élan d'espoir partagé. "Les scientifiques ont décidé qu'ils ne pouvaient plus rester en dehors de cette bataille ; la situation est trop grave, la neutralité est une illusion", explique Julien d'ANVCOP21.

Cet engagement s'inscrit dans un contexte d’aggravation des crises environnementales. Depuis 1990, avec le premier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), ces chercheurs appellent à attention face à un réchauffement climatique dû à la surexploitation des énergies fossiles. En 2024, une année record en chaleur, nous dépassons déjà la barre critique des 1,5°C, point de non-retour prévu par l’accord de Paris.

Ces scientifiques, regroupés au sein du collectif "Scientifiques en rébellion", qui compte environ 500 membres en France, viennent de publier un livre-manifeste, "Sortir des labos pour défendre le vivant", évoquant leur désespoir face à l'inaction. Pendant ce temps, les événements climatiques extrêmes ne cessent d'être plus fréquents et intenses.

Un élan vers l'engagement

Lors d'un colloque en novembre, l’hydrologue Bertrand Decharme de Météo-France exprimait son exaspération face à cette indifférence générale : "Nous avons écrit des rapports durant trente ans, mais l'impression est que personne n'écoute !". Il dépeint une société qui continue de consommer sans réfléchir aux conséquences, comprenant que la tendance ne peut plus se poursuivre.

Cette mobilisation a incité les grands instituts de recherche à réévaluer leur position. En 2023, le comité d'éthique du CNRS a reconnu que l'engagement public des chercheurs en faveur de l'environnement n'est pas incompatible avec la rigueur scientifique, tant que la transparence est de mise. Mais même au sein de l'Inrae, les actions de désobéissance civile, comme celle contre Schneider, ne sont pas officiellement soutenues.

Un avenir incertain mais plein d'espoir

Les jeunes chercheurs montrent un intérêt croissant pour cet engagement. "L'urgence d'agir est évidente", témoigne Laurent Husson. Mathilde, une étudiante en sciences de la terre, constate que de plus en plus de ses pairs embrassent cette cause, renforçant leur détermination face aux récents désastres climatiques, comme les inondations ravageant sa ville en octobre.

Il est crucial de sensibiliser et mobiliser davantage pour faire face à un climat en crise. Les scientifiques sortent littéralement de leurs labos pour redevenir des agents de changement dans une lutte pour notre futur. Les actions menées à Grenoble ne sont que le début d'une vaste mobilisation nécessaire pour préserver notre planète.