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Manifestations en Serbie : Pourquoi des centaines de milliers de personnes défilent contre la corruption

2025-03-19

Auteur: Michel

Un océan de manifestants a déferlé dans les rues de Belgrade. Entre 275 000 et 325 000 personnes, selon des estimations d'observateurs indépendants, ont pris part à la manifestation du samedi 15 mars, représentant près d'un sixième de la population serbe. Ces chiffres dépasseraient même ceux des manifestations historiques de 2000, lorsqu'un mouvement populaire avait permis de renverser le régime de Slobodan Milosevic, souligne Loïc Trégourès, expert en sciences politiques et spécialiste des Balkans. Il est difficile d'imaginer une telle mobilisation il y a seulement six mois.

Ce mouvement de contestation a été initié par des étudiants après la tragédie survenue le 1er novembre, lorsque l'effondrement d'un auvent en béton à la gare de Novi Sad a causé la mort de quinze personnes. Cet accident a été attribué à la négligence et à la corruption dans le secteur de la construction, ce qui a provoqué un choc émotionnel intense au sein de la population. "La mort de plusieurs jeunes, dont des étudiants, a été un catalyseur pour cette vague de manifestations", explique Ivica Mladenovic, chercheur à l'Université de Belgrade.

Depuis cet événement tragique, les rassemblements se multiplient chaque jour, les manifestants demandant des comptes aux autorités. Parmi les symboles emblématiques de ces manifestations, les protestataires brandissent des emblèmes comme une main ensanglantée, avec le slogan "la corruption tue".

Un mouvement sans leader mais unifié

La puissance du mouvement réside aussi dans son caractère unitaire et inclusif, transcendant les frontières politiques traditionnelles. Pas de leader désigné, mais une diversité de participants allant des étudiants aux enseignants, en passant par des travailleurs précaires et des jeunes diplômés au chômage. Bien que certains partis d'opposition tentent de s'associer aux manifestations, leur influence reste limitée. Les manifestants souhaitent clairement éviter d'être utilisés comme des instruments politiques, conservant ainsi leur indépendance.

Des groupes autogérés assurent la circulation de l'information sur les manifestations, ce qui témoigne de l'organisation et de l'autonomie qui caractérisent le mouvement. Les revendications vont au-delà de la simple lutte contre la corruption : il s'agit aussi de revendiquer un État de droit, d'égalité, et de dignité pour tous.

Une crise de confiance envers l'UE

Parallèlement, les manifestants expriment un fort sentiment de trahison vis-à-vis de l'Union européenne. Alors que les négociations d'adhésion à l'UE ont débuté en 2013, les indicateurs de démocratie en Serbie sont en dégringolade, selon des rapports d'ONG. Les Serbes ressentent que l'UE a longtemps fermé les yeux sur les dérives du gouvernement d'Aleksandar Vucic, rendant les drapeaux européens invisibles lors des manifestations, ce qui illustre un désenchantement croissant.

Une controverse majeure est également liée à un accord signé entre l'UE et la Serbie pour l'extraction de lithium par le groupe australien Rio Tinto, un dossier très controversé qui a déjà provoqué plusieurs actes de protestation. Ce partenariat a entraîné une montée de l'euroscepticisme parmi des citoyens qui, autrefois, soutenaient l'adhésion à l'UE.

Le président Vucic et les rivalités géopolitiques

Le président Vucic, quant à lui, utilise habilement les rivalités géopolitiques à son avantage, affirmant son indépendance dans un monde multipolaire. Sa stratégie consiste à naviguer entre les intérêts de l'Occident et ceux de la Russie, un équilibre qu'il juge favorable à ses ambitions politiques.

L'avenir du mouvement : une menace pour Vucic?

Alors que le mouvement continue de mobiliser des milliers de personnes, la question de son impact politique demeure. Aleksandar Vucic rejette l'idée de former un gouvernement d'experts en réponse aux pressions. Les esprits restent tendus, en particulier après des accusations du gouvernement prétendant que les mouvements des étudiants pourraient déboucher sur un coup d’État.

Malgré tout, les manifestants ont veillé à ce que leurs rassemblements restent pacifiques, cherchant à éviter tout affrontement direct avec la présidence.

Ce mouvement représente un défi politique réel pour le pouvoir en place. Les experts préviennent que sans une structure claire et un projet collectif, le risque d’essoufflement est omniprésent. Cependant, cette mobilisation a permis à de nombreuses personnes marginalisées de reprendre le contrôle de l’espace public et de revendiquer un changement démocratique.

"Si ces nouvelles formes d'organisation réussissent à se consolider, elles pourraient profondément redéfinir le paysage politique serbe", conclut Mladenovic.