"L'inimaginable s'est produit" : au procès de l'assassinat de Samuel Paty, ses proches réclament justice
2024-11-08
Auteur: Jean
"Je suis une mère qui élève seule son enfant sur un fil... Un fil qui mène à la vie mais qui est bien souvent ébranlé." Jeanne A. se tient devant le micro, les cheveux châtain clair tombant en cascade sur sa veste noire. Avec une voix claire et une émotion palpable, l'ex-compagne de Samuel Paty, le professeur d'histoire-géographie assassiné le 16 octobre 2020, témoigne en son propre nom mais surtout au nom de son fils de 9 ans. Ce jour-là, dans la salle du tribunal, son fils assiste pour la première fois au procès des huit accusés liés à ce crime horrible. Sa silhouette fragile contraste avec les salles de justice, trop grande pour lui.
"C'est sa volonté d'être ici", précise Jeanne A. Pendant qu'elle parle, le jeune garçon écoute attentivement, les événements des quatre dernières années pesant lourdement sur sa vie de tous les jours. "Entendre les sirènes d'ambulance, croiser des policiers armés, voir des images de chaînes d'information évoque un stress constant, des questions sans réponses", confie-t-elle, évoquant comment elle a dû s'adapter à cette nouvelle réalité après la perte tragique. "Je dois me forcer à cuisiner avec des couteaux, car chaque lame me rappelle cette tragédie."
"Je me demande quelle est l'impact d'une telle perte sur un enfant de cet âge ? C'est une vraie question."
Jeanne A. n'oublie jamais son fils assis à quelques mètres derrière elle, et soigne chaque mot. "Nous sommes des victimes indirectes, mais la douleur ressentie ce jour-là est bien réelle", exprime-t-elle, insistant sur le fait que l'angoisse vécue par son fils est une conséquence directe de cet acte ignoble.
"Il vit avec la peur que sa maman ne revienne pas de son travail, puisque je suis aussi enseignante." Cette mère dévouée explique comment leur vie à Eragny-sur-Oise, où Samuel vivait aussi, a basculé après que des couteaux ont été découverts près de l'école de son fils en octobre 2023. "C'est tellement injuste. Comment rassurer un enfant ? Nous vivons avec l'inimaginable, et cela doit devenir notre quotidien", ajoute-t-elle avec une tristesse accablante.
"Sans vous, Samuel serait en vie aujourd'hui."
À son fils qui souhaite poser une question lors du procès, elle a répondu par la négative, mais Jeanne A. aspire à ce que le monde des adultes entende le cri de silence de son fils. Ce silence, à ses yeux, "implore la justice d'expliquer, de juger et, si nécessaire, de condamner". "Vérité et justice – des mots que tous ici doivent entendre", clame-t-elle, faisant écho aux désirs de son enfant, comme le souligne le président de la cour d'assises.
"Cela fait quatre ans que j'essaie d'expliquer l'inexplicable, c'est un poids vertigineux."
Jeanne A. insiste enfin sur l'importance que le procès apporte une compréhension des mécanismes ayant conduit à cet attentat, des éléments qui pourraient l’aider à avancer.
Après son témoignage, d'autres membres de la famille, comme ses nièces et les sœurs de Samuel Paty, prennent la parole. Gaëlle Paty lit un texte préparé intitulé "Tenir debout", en s'adressant directement aux accusés, qui écoutent ces témoignages sans une larme. Elle dénonce, avec colère et douleur, ceux qui ont contribué à la perte de son frère. "Votre procès a commencé, vous êtes en réalité responsables de la mort de mon frère", déclare sa sœur, avec une ferveur désespérée. "Je réclame respect et décence dans cette cour, je veux des réponses qui vont au-delà d'une agitation stérile."
"Il avait une passion pour les livres et l'histoire."
Mickaëlle Paty évoque la personnalité de son aîné, qui avait une immense soif de connaissance. "Il adorait lire, sa plus grande joie était de recevoir des livres, notamment ceux de La Pléiade. C'était un véritable érudit."
Bernadette Paty, leur mère, partage des souvenirs tendres de son enfant, évoquant sa découverte du monde à travers des Lego, des collections et une immense passion pour l'histoire. Elle souligne comment, chaque soir, son mari lui racontait l'histoire de France, développant ainsi son intérêt. Bernadette confie également que Samuel respectait toutes les religions, et son souhait de montrer les caricatures de Mahomet en cours était une démarche pédagogique qu'elle n'avait pas mesurée comme pouvant avoir des répercussions tragiques.
"Perdre un enfant de cette manière est inacceptable. Nous ne l'accepterons jamais. Il a été tué parce qu'il a ouvert un débat", déclare Bernadette, avec une voix désespérée malgré la dignité. Elle conclut en affirmant qu'elle doit désormais apprendre à vivre sans son fils, laissant derrière elle une famille endeuillée et un vide immense.
Sa douleur résonne à travers les murs du tribunal, rappelant à chacun l'importance d'honorer la mémoire de Samuel Paty, un éducateur passionné par son métier qui, sous les ombres de l'extrémisme, a perdu la vie en défendant la liberté d'expression. Cette tragédie nous interpelle tous à réfléchir sur le sens de l'éducation et à défendre avec ferveur les valeurs qui nous lient. Comment pourrions-nous sauver les futures générations du même destin malheureux ? La justice devra répondre à cette question essentielle.