Affaires

"L'ère du télétravail se réinvente" : cinq ans après l'urgence du travail à distance, les entreprises revoient leurs stratégies

2025-03-17

Auteur: Pierre

Catherine*, une assistante juridique de 52 ans vivant dans la région parisienne, s'installe deux jours par semaine dans son "mini-bureau" situé dans sa chambre. Le télétravail, mis en place en urgence durant la pandémie, lui offre une flexibilité inédite. Elle profite de ces journées pour gérer ses courses avant de commencer le travail, faire quelques séances de yoga pendant sa pause déjeuner, et réaliser les tâches ménagères. Selon une étude de l'Insee, plus d'un salarié du secteur privé sur cinq travaille maintenant à distance au moins une fois par mois, une augmentation significative comparée à 2019.

Déployé massivement en mars 2020, le télétravail a touché environ 30% des salariés durant la crise sanitaire. Toutefois, cinq ans après le premier confinement, de grandes entreprises américaines comme Amazon imposent désormais le retour au travail en présentiel. En France, bien que le télétravail ne soit pas totalement abandonné, certaines entreprises durcissent les règles afin d'encadrer cette pratique. Audrey Richard, présidente de l'Association nationale des directeurs des ressources humaines, explique que cela fait partie d'une "renégociation" des accords de travail, souvent conclus entre 2021 et 2022.

"Les entreprises cherchent un équilibre. On ne souhaite pas éliminer le télétravail, mais plutôt ajuster le nombre de jours à distance", précise-t-elle.

Aujourd'hui, la majorité des travailleurs français adoptent un modèle "hybride", avec en moyenne 1,9 jour de télétravail par semaine, contre 3,3 jours au début de l'année 2021. Ce changement vise également à garantir des moments de travail commun en présentiel. Prenons l'exemple de Wopilo, une start-up spécialisée dans les oreillers, où les salariés doivent se rendre au bureau au moins deux lundis et deux vendredis par mois, afin d'éloigner les réunions stratégiques des jours où le télétravail est le plus prisé.

Catherine se joint à d'autres pour convenir que les réunions en visioconférence ne remplacent pas la richesse des échanges en personne. Elle souligne l'importance des interactions informelles qui gardent l'ambiance collaborative vivante. Des études montrent que le télétravail peut nuire aux relations humaines, essentielles pour l'innovation.

Certains groupes, comme Renault, justifient la réduction du télétravail à deux jours par semaine par un désir d'augmenter la productivité. Ce mouvement est contesté par des salariés qui pointent du doigt un isolement croissant et une perte de créativité. Max*, un ingénieur d'une entreprise de batteries électriques, évoque la difficulté d'évaluer la productivité, même en présentiel, à l'ère du numérique.

Chez Ubisoft, la tentative d'imposer trois jours de présence au bureau a débouché sur un mouvement de grève, révélant les tensions autour des attentes des employés. La société, en difficulté financière, estime que le travail au bureau renforce l'efficacité collective. Les syndicats dénoncent une approche déconnectée de la réalité du télétravail, qui jusqu'alors avait permis une certaine flexibilité.

Un fait marquant est que les télétravailleurs expriment souvent une meilleure santé mentale et physique, tout en étant exposés à un risque d'hyperconnexion et de longues journées de travail. La Dares montre que bien que les télétravailleurs aient moins de douleurs physiques et de troubles liés au stress, ils sont également plus susceptibles de ne pas demander un arrêt maladie, ce qui peut aggraver leur état de santé.

D'un autre côté, les entreprises reconnaissent que les perspectives de télétravail sont désormais un facteur clé dans le recrutement. Audrey Richard souligne qu'une annonce d'emploi qui ne mentionne pas le télétravail risque de perdre des candidats potentiels. Avec une majorité de travailleurs souhaitant conserver, voire augmenter leur nombre de jours à distance, le télétravail semble bel et bien ancré dans les mentalités.

Dans le contexte actuel de pénurie de main-d'œuvre, le retour au présentiel devient un vrai casse-tête logistique pour certaines sociétés, qui voient leurs locaux saturés par un nombre d'employés croissant. Selon un rapport de la fondation Jean-Jaurès, la majorité des dirigeants considèrent encore le télétravail comme un progrès, et la clé de l'avenir serait de trouver une façon durable et intelligente de le gérer.

*Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressés.