
Le kit de chimie radioactive : le jouet étonnant de la Guerre froide
2025-03-09
Auteur: Emma
«Le jouet scientifique le plus innovant jamais conçu ! Découvrez la désintégration atomique de matériaux radioactifs de vos propres yeux ! » Dans le contexte de Noël 1950, des slogans tout aussi alléchants qu'incompréhensibles annoncent la sortie du dernier produit de l'entreprise Gilbert : un « laboratoire à énergie atomique » avec un compteur Geiger à l'intérieur. Imaginez offrir un tel kit à un jeune passionné de science !
La fièvre de la radioactivité
Depuis sa découverte en 1896 par Henri Becquerel et les époux Curie, la radioactivité est entourée de connotations presque magiques. On lui attribue des vertus qui feraient pâlir n'importe quel produit de beauté moderne : elle retarderait le vieillissement, guérirait les rhumatismes et même favoriserait la perte de poids. Qui aurait cru que des éléments aussi dangereux pouvaient paraître si attrayants ?
Au début du XXe siècle, la tendance s'oriente résolument vers le radioactif : crèmes au radium, dentifrices au thorium promettant des dents éclatantes, ou encore l'eau radioactive vantée comme une source de jeunesse. Il suffit souvent d'inclure les termes « atomique », « nucléaire » ou « radioactif » pour voir des produits devenir les must-have de leur époque.
Les enfants, acteurs de cette époque fascinante, se voient proposer pistolets laser, figurines de mutants et autres accessoires de chimie. Le directeur de Gilbert, Alfred Gilbert, est en émoi : son kit de chimie va sans aucun doute faire sensation et captiver l'intérêt des jeunes esprits!
Conçu principalement pour les garçons, le Gilbert U-238 Atomic Energy Lab reflète également les normes de la société d'alors. Dans les années 1950, très peu de femmes s'engagent dans des carrières scientifiques. Celles qui y parviennent se voient souvent cantonnées à des rôles d'assistantes. Le message est clair : les sciences, tout comme la blouse blanche, sont réservées aux hommes.
Le kit de chimie radioactive Gilbert, bien queattribué à un genre particulier, renferme un contenu impressionnant : compteur Geiger, spectroscope, détecteur de particules et quatre flacons scellés contenant de l'uranium. Des livrets explicatifs, élaborés en collaboration avec des scientifiques du MIT, accompagnent ce jouet pour initier les jeunes aux merveilles de la physique.
Alfred Gilbert raconte qu'ils ont même reçu un soutien officieux du gouvernement, convaincu que ce type de jeu pourrait aider à éduquer le public sur l'énergie atomique sous un angle positif. Curieusement, un livret a été rédigé avec Leslie Groves, le directeur du Projet Manhattan, qui, cinq ans plus tôt, avait supervisé la création des premières bombes atomiques.
La fameuse « chambre à brouillard » du kit est présentée comme un outil fascinant permettant d'observer les trajectoires des électrons et des particules alpha se déplaçant à plus de 10 000 miles par seconde.
Un jouet radioactive vraiment dangereux ?
Les jeunes physiciens doivent-ils s’inquiéter de la sécurité de cette panoplie ? Non, assurent les créateurs, qui l'affirment comme étant « totalement sûre et inoffensive », ne comportant qu'un risque minimal, similaire à une exposition au soleil d'une journée. Cependant, tout cela dépend de garder les échantillons de minerais radioactifs bien confinés dans leurs flacons. Qui peut dire si les enfants respecteront ces consignes ?
De plus, que dire du livret qui encourage les enfants à partir à la recherche de minerais radioactifs avec leur compteur Geiger pour recevoir des récompenses gouvernementales remarquables ? En plein cœur de la Guerre froide, ce geste aurait pu sembler inoffensif, mais aujourd'hui, cette approche soulève des interrogations sur la façon dont la société présente la science et la dangerosité de certains matériaux. Ce kit, loin d'être simplement un jouet, représente un chapitre fascinant et troublant de l'histoire des jouets et de la culture scientifique.