"Je pensais que c’était normal" : le harcèlement scolaire au primaire, une réalité trop souvent ignorée aux conséquences désastreuses
2024-11-09
Auteur: Philippe
Introduction
Du CP au CM2, Laurent n'a jamais eu l'opportunité de jouer au ballon de football, car chaque fois qu'il s'approchait, les autres garçons l'en empêchaient en le traitant de "nul". En quête de camaraderie, il tente alors de se joindre aux filles jouant à l'élastique, mais il se retrouve vite la cible de moqueries. "C'était comme une jungle", se souvient-il aujourd'hui, rappelant avec amertume cette période de son enfance où il semblait être constamment en marge. En réalité, ce qu'il décrit est une forme de harcèlement scolaire qui, malgré des idées reçues, a toujours été présent dans les écoles primaires et ne cesse de croître.
État des lieux
Selon la dernière étude de l'association e-Enfance, le harcèlement toucherait encore plus d'élèves à l'école primaire qu'au collège et au lycée. En effet, 27 % des élèves du primaire affirment avoir été victimes de harcèlement, contre 25 % au collège et 19 % au lycée. Ces chiffres sont corroborés par une enquête menée par le ministère de l'Éducation nationale en novembre 2023, qui révèle que 5 % des élèves du CE2 au CM2, 6 % des collégiens et 4 % des lycéens souffriraient de harcèlement.
Minimisation du harcèlement
Malgré une prise de conscience croissante ces dernières années, le harcèlement au primaire continue d'être minimisé, souvent perçu comme de simples "chamailleries" selon la thérapeute Mathilde Zrida.
Des signes préoccupants
Le harcèlement au primaire utilise les mêmes mécanismes que celui observé au collège et au lycée. La ministre de l'Éducation nationale, Anne Genetet, a récemment évoqué le cas tragique d'un élève de CM2 victime de moqueries et de bousculades. Une alerte alarmante a été soulevée en juin dernier, lorsque France 3 a rapporté qu'une fillette de sept ans avait été hospitalisée après avoir été frappée à la tête par plusieurs camarades dans une cour d'école à Marseille.
Pourquoi est-il si difficile d’admettre la réalité du harcèlement au primaire ? "C'est en partie dû à la crédulité des adultes, une forme d'aveuglement", souligne la pédopsychiatre Nicole Catheline. Pendant longtemps, on a cru que le harcèlement était toujours intentionnel, alors qu'il peut être spontanément réactionnel chez les plus jeunes.
Les enfants harcelés au primaire éprouvent des difficultés à prendre conscience de leur situation. Ils connaissent la définition du harcèlement, mais ont du mal à mettre des mots sur leur souffrance, souvent réduite à des termes comme "méchants". Les adultes doivent donc être vigilants pour déceler les signaux d'alerte : irritabilité, problèmes de sommeil, ou refus d'activités qu'ils appréciaient.
Témoignages
Louise, aujourd'hui âgée de vingt ans, évoque des humiliations incessantes qu'elle a subies dès le CP, telles que devoir "baisser son pantalon au milieu de la cour". Forcée de cacher sa douleur par peur de représailles, elle constate que le personnel scolaire aurait pu agir s'il avait été plus attentif. Aurore, 39 ans, a également subi des brimades sans que ses parents ne sachent comment l'aider, conduisant à la répétition de ce cycle de violence avec sa propre fille.
Conséquences durables
Les conséquences du harcèlement scolaire sont profondes et durables. Les enfants peuvent internaliser des messages négatifs sur eux-mêmes, impactant leur estime de soi et leur identité à long terme. Les experts suggèrent que si ces blessures ne sont pas traitées, les victimes de harcèlement à l'école primaire risquent de revivre des expériences similaires au collège et de développer des troubles anxieux ou dépressifs à l'âge adulte.
Le cas de Luna, qui a souffert de harcèlement en raison de son apparence physique, montre à quel point ces expériences peuvent altérer la perception de soi. Elle explique qu’elle pensait que ce qu’elle vivait était normal et qu'elle devait simplement s’y habituer.
Renverser la tendance
Du côté des harceleurs, Mathilde Zrida insiste sur le fait que plus leur comportement est ignoré, plus il a tendance à persister dans les classes supérieures. Bien que des efforts de prévention aient été réalisés depuis quelques années, notamment avec le programme pHAre instauré en 2021, des lacunes demeurent. Le secteur scolaire doit se renforcer pour un meilleur encadrement et une sensibilisation bien plus proactive sur le sujet du harcèlement.
Actuellement, la formation des enseignants reste un point négligé. Bien que l'on prévoie une formation obligatoire d'ici 2027, les experts estiment que la route est encore longue. Les parents ont aussi un rôle crucial à jouer dans ce combat contre le harcèlement, afin d'apporter un soutien constant à leurs enfants.
Conclusion
En somme, il est essentiel d'opérer un changement de mentalité collectif. Il ne s'agit pas uniquement d'améliorer la prévention à l'école, mais aussi de créer un environnement où chaque enfant se sente en sécurité, valorisé et capable d'exprimer ses émotions sans crainte.