« Je me sens complètement isolé » : Comment surmonter les résistances locales pour accélérer la transition énergétique ?
2024-11-04
Auteur: Marie
À Challignac, depuis la baie vitrée de leur maison, le couple Araujo observe avec inquiétude le champ destiné à un projet d’agrivoltaïsme, dont la parcelle a été réservée par son propriétaire en accord avec le développeur TSE. Le conseil municipal a émis un avis consultatif favorable, mais les tensions s'exacerbent dans cette petite commune.
« Je ressens un profond sentiment de solitude face à de telles situations », déclare Christophe Tutard, le maire, en se défendant d'un jugement hâtif. « Nous avons intégré ce terrain dans la zone d’accélération des énergies renouvelables de l’intercommunalité, mais pas sans prendre en compte les nuisances que cela pourrait engendrer pour les riverains. »
À quelques kilomètres, Thomas et François Maudet, agriculteurs à Condéon, espèrent sur leur terre céréalière un revenu complémentaire dans un contexte économique difficile. Ensemble, ils envisagent un partenariat avec TSE qui pourrait stabiliser leur exploitation familiale, bien qu’ils aient déjà reçu un avis défavorable de leur conseil municipal.
« Il y a une ancienne ferme à vendre près de la parcelle », défend la maire Véronique Fouassier. « Avec un plan d'urbanisme intercommunal qui privilégie la conservation plutôt que la construction, ces vieilles bâtisses sont notre seule chance d’attirer de nouvelles familles. » Cependant, Jacques Chabot, président de la communauté de communes des 4B, met en garde : « Si dans dix ans, nous avons perdu la majorité de nos exploitants faute de revenus, que ferons-nous des champs laissés à l’abandon ? Cela attirera-t-il de nouvelles familles dans nos campagnes désertées ? »
Alors que le préfet Jérôme Harnois a placé l'accélération de la production d’énergies renouvelables parmi ses priorités, l'acceptation de projets d’énergie éolienne ou agrivoltaïque dans les campagnes reste compliqué. Isabelle Leydier-Delavallade, éleveuse à Yvrac-et-Malleyrand, témoigne de la pression croissante autour de ces projets, signalant les dérives potentielles aussi bien de la part des opérateurs que des porteurs de projets.
« Nous sommes confrontés à des propriétaires de 300 ou 400 hectares qui proposent des projets titanesques. Certains même souhaitent élever des bovins sous les panneaux photovoltaïques, engendrant des structures allant jusqu’à cinq mètres de hauteur. C'est exactement ce genre de projets surdimensionnés qui rend l'acceptation de la transition si difficile. »
Christian Daniau, président de la chambre d’agriculture de Charente, souligne que leur priorité reste l’agriculture. « Si une activité peut se dérouler sous ces panneaux, nous sommes disposés à l’accepter », insiste-t-il, rappelant que les syndicats agricoles ont proposé une charte encadrant l'agrivoltaïsme afin de limiter la couverture du terrain à 40 % de la surface totale.
« Les agriculteurs ont besoin de revenus complémentaires », reconnaît Isabelle Leydier-Delavallade, mais elle insiste sur l’équité des projets. « Je préfère voir dix projets de quatre hectares qu’un seul occupant 40 hectares. » Carole Ballu, porte-parole de la Confédération paysanne en Charente, adopte une approche plus tempérée : « Je comprends les agriculteurs qui se lancent dans ces projets, c'est une opportunité pour eux. Néanmoins, travaillons d’abord à ce qu’ils soient rémunérés équitablement. Il existe une quantité suffisante de toits à exploiter avant de s'attaquer aux terres.
La situation est également révélatrice d’un bouleversement du marché foncier. Pour les riverains comme le couple Araujo, l'implantation de projets agrivoltaïques à proximité peut entraîner une perte de valeur de leur propriété. En revanche, cette montée vers les énergies vertes fait grimper les prix des terres agricoles. « Dans notre région, le prix de la terre oscille entre 1500 et 3000 euros. Avec les projets éoliens et solaires, nous atteignons désormais 8000 euros », affirme Benoît Moquet. Dans la petite commune d’Adriers, à moins de 40 kilomètres de Confolens, des terres d’élevage aux conditions peu entretenues viennent d’être acquises pour 4,3 millions d'euros, soit plus du double du prix envisagé initialement. « À ce rythme, les propriétaires seront réticents à louer ou à vendre pour permettre aux jeunes de s'installer », conclut Benoît Moquet.
Avec un besoin urgent de solutions durables pour l'avenir de l'agriculture et de l'environnement en Charente, la future définition des projets de développement énergétique pourrait bien être le point de rupture entre tradition et modernisation.