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Grand entretien : Le procès des viols de Mazan, "un tournant pour la perception des violences sexuelles", analyse l'autrice Rose Lamy

2024-09-20

Introduction

"Je suis un violeur, comme ceux qui sont dans cette salle." Lors du procès des viols de Mazan, le 17 septembre, Dominique Pelicot a reconnu "dans leur totalité" les actes qui lui sont reprochés. Depuis le 2 septembre, cet homme de 71 ans est jugé, aux côtés de 50 coaccusés, par la cour criminelle du Vaucluse. Il est accusé d'avoir drogué et orchestré des viols sur sa femme, Gisèle Pelicot, pendant dix ans, en rejoignant des dizaines d'hommes par le biais d'Internet.

Analyse de Rose Lamy

Dans cette affaire, Rose Lamy, autrice et militante féministe, souligne une réalité troublante sur la nature des agresseurs. Elle est également à l'origine du compte Instagram "Préparez-vous pour la bagarre" et a récemment publié l'ouvrage collectif "Moi aussi : MeToo, au-delà du hashtag". Son dernier livre, intitulé "En bons pères de famille", explore les stéréotypes liés aux auteurs de violences sexistes et sexuelles.

Le profil des accusés

Franceinfo : Les 51 accusés au procès ont entre 20 et plus de 70 ans, sont souvent des maris et des pères, bien intégrés dans la société, et presque tous sans casier judiciaire. Ils représentent les "bons pères de famille" que vous évoquez dans votre livre. Pouvez-vous en dire plus ?

Rose Lamy : Oui, ces accusés illustrent une idée que les féministes défendent depuis longtemps : il n'existe pas de profil type de violeur. L'homme violent n'est pas nécessairement un monstre ou un perturbateur extérieur ; il peut très bien être un "bon père de famille". Ce terme, que j'ai utilisé, tire son origine d'une ancienne formulation du Code civil, abrogée en 2014, qui représentait la norme. En le réutilisant, je veux contraster cette figure avec celle du "monstre". Ces bons pères de famille confortent leur conscience en se pensant à l'abri de telles actes, tout en déniant que le problème pourrait surgir parmi eux.

Les stéréotypes de l'agresseur

Qui sont les "autres" que vous considérez comme plus facilement accusés de violences sexuelles ou intrafamiliales ?

Les "autres" incluent des figures stéréotypées comme le monstre fou, le marginal, ou l'étranger, fréquemment pointés du doigt par certaines idéologies politiques comme l'extrême droite. Cette vision permet aux bons pères de famille de ne pas reconnaître que les violences sexistes et sexuelles émergent aussi dans toutes les couches sociales. En réalité, les statistiques montrent que dans 9 cas sur 10, la victime connaît son agresseur, et dans 45% des cas, il s’agit de son mari ou ex-mari.

La perception des violences sexuelles

Pourquoi pensez-vous que la société peine encore à voir que ces violences peuvent émaner de "bons pères de famille" ?

Parce que ces hommes défendent leurs positions en faisant appel à des stéréotypes et en soutenant la théorie des "autres". Ce mécanisme sert à maintenir une certaine innocence autour d'eux. Ils utilisent des arguments pour disqualifier les souffrances des victimes, en se demandant par exemple : "Est-ce qu'elle ne l'a pas cherché ?" Ce discours contribue à la culture du viol et au blocage des avancées pour les droits des femmes.

Un tournant dans la perception

Le procès de Mazan est un véritable tournant, car il révèle que l'agresseur peut être quelqu’un qui est censé être en confiance, un homme de famille par excellence. Gisèle Pelicot, bien qu'elle ait été victime, est perçue comme une "bonne victime" : elle a un statut social, elle est âgée et peu susceptible de controverses. Les milliers de preuves matérielles retrouvées rendent difficile toute attaque contre son témoignage.

Crucialité de la visibilité des violences

Le refus de Gisèle d’avoir le procès à huis clos est également crucial. Cela rend tangible la réalité des violences conjugales, souvent cachées, et souligne que ces crimes ne doivent plus rester tabous. En cela, le procès devient un espace de dialogue public extrêmement nécessaire. Je pense que ce procès pourrait déclencher une prise de conscience collective concernant la complaisance avec laquelle ces crimes sont souvent traités.

Conclusion

En conclusion, à travers ce procès, il semble enfin possible que la société reconnaisse que ces violences sont le fait de "Monsieur Tout-le-monde". Les discours entourant cette affaire sont révélateurs d'un changement potentiel dans nos perceptions. Espérons que cela engendrera une meilleure écoute et un soutien accru pour les victimes de violences, et que les plaintes seront prises plus sérieusement à l'avenir.