
Golshifteh Farahani : «Pour connaître l’âme d’un homme, il est intéressant de voir comment il se comporte avec sa mère, sa femme, ses amies»
2025-03-22
Auteur: Marie
Trop subversifs pour le régime iranien, les engagements artistiques et la liberté de Golshifteh Farahani l’ont contrainte à l’exil en 2008. Elle n'avait jamais joué dans sa langue natale, le farsi, jusqu’à aujourd’hui. Dans le film Lire Lolita à Téhéran, réalisé par Eran Riklis et adapté du roman autobiographique d’Azar Nafisi, elle incarne une professeure d’université qui rassemble secrètement des étudiantes chez elle après la Révolution de 1979. Ensemble, elles lisent Nabokov et Jane Austen, mais se créent surtout un espace sécurisant pour s’entraider et échanger. Cette belle chronique humaniste aborde des thèmes essentiels tels que le pouvoir réparateur de l’art, l’oppression des femmes et la douleur de l’exil, résonnant profondément avec la vie et les combats de l’actrice iranienne.
Madame Figaro. – Qu'est-ce qui vous plait dans la manière dont le réalisateur Eran Riklis traite les femmes ?
Golshifteh Farahani. – J’ai été séduite par le cinéma d’Eran à travers le personnage joué par Hiam Abbass dans Les Citronniers. Ce film présente un rôle de femme inoubliable. Pour comprendre l’âme d’un homme, il est essentiel d’observer comment il interagit avec sa mère, la femme qui partage sa vie et ses amis. Eran est tout cela à la fois : un mari respectueux, un fils attentionné, un ami généreux. Cette bienveillance se reflète dans ses scénarios.
Avec lui après Le Dossier de Mona Lina, était-ce une évidence de tourner de nouveau ?
Pas au départ. Mon exil a été un tel traumatisme que j’ai ressenti le besoin de prendre mes distances avec mon pays et ma langue. Jusqu'à présent, j'avais refusé tous les projets en farsi ou se déroulant en Iran. C’était un obstacle difficile, comparable à l’expérience de retirer mon voile devant la caméra pour la première fois. En tant qu’actrice, je m’étais efforcée de ne pas être catégorisée comme 'fille du Moyen-Orient', ce qui incluait de refuser des rôles trop proches de mon expérience personnelle. Mais en découvrant le scénario de Lire Lolita à Téhéran avec Eran, j'ai été émue aux larmes et j'ai su que je devais participer à ce projet.
Le tournage a-t-il eu des effets thérapeutiques ?
Il m’a aidée à panser des blessures, surtout en vivant ces moments avec mes partenaires, Zar Amir Ebrahimi et Mina Kavani, elles aussi exilées. Nous avons traversé ensemble un océan de difficultés et de douleurs, vivant ce tournage comme un rêve labyrinthique. Tout se mêlait : réalité et fiction, passé et présent. Les événements du film font écho aux révoltes déclenchées par la mort de Mahsa Amini en Iran.
La littérature est un outil d’émancipation pour ces personnages. L'a-t-elle été pour vous aussi ?
La bibliothèque de mon père regorgeait de livres interdits. À 12 ans, j'ai eu la chance de lire Cent Ans de solitude de Gabriel García Márquez dans sa version non censurée. Les adolescents aiment transgresser les règles, et je pense que braver l’interdit a renforcé mon amour des livres. En grandissant, j'ai réalisé que l’art représente l'un des rares territoires que l'humanité n'a pas souillée, et une arme puissante pour éveiller les consciences et combattre l’obscurantisme. Cette force est telle que les régimes totalitaires censurent les œuvres et emprisonnent les artistes, car ils menacent leur pouvoir.
Qui étaient vos héros littéraires ?
Mon père était un homme de gauche et j'ai beaucoup lu les auteurs russes tels que Dostoïevski, Tolstoï, Tchekhov. Mais mon incontournable reste Le Petit Prince. À 4 ans, mon père a interprété le renard dans une version audio pour la radio. J'ai grandi avec cette histoire et sa voix, une expérience qui m’a profondément marquée. L'art, pour moi, doit parler à un enfant de 4 ans et l'accompagner tout au long de sa vie.
La sororité est un thème central dans Lire Lolita à Téhéran. Que représente-t-elle pour vous ?
Je crois fermement en l’humanité. Dans ma culture, les femmes ont toujours avancé main dans la main avec les hommes. Adolescente, j'ai refusé de me conformer à la séparation des genres, qui engendre des injustices. L'opposition crée toujours un dominant et un dominé, et j’ai besoin de mes frères et sœurs.
Ressentez-vous toujours un lien fort avec l'Iran ?
Comme le dit le film : « Vous pouvez quitter l'Iran, mais l'Iran ne vous quitte jamais. » Je me sens comme un « Iran mobile ». Mon pays coule dans mes veines, ma culture et mon histoire sont ancrées en moi. Mon absence de résignation et ma résilience sont profondément iranaises, mais tel un caméléon, je m’adapte aussi et je me sens parisienne.