ENQUÊTE : Agrivoltaïsme en France : Un million d’hectares en projets, le piège d’une bulle énergétique ?
2025-01-04
Auteur: Philippe
Le soleil brille sur les vallées et les bosquets du sud de la Vienne à la fin octobre dernier. Réunis à la ferme de La Combe dans la commune d'Adriers, des agriculteurs, élus, riverains et militants s’élèvent contre le risque de voir leurs terres accaparées par des investisseurs riches. L’ancien directeur de Bricorama convoite une ferme de 630 hectares qu’il envisage de partiellement équiper de panneaux solaires. "Les terres de cette ferme ont été vendues à des prix astronomiques pour un projet photovoltaïque au sol," déclare Éric Duputier, un agriculteur local et président de l’association Les prés survoltés. "Cela empêche tout le monde de s’agrandir ou de s’installer. Tous ces gros investisseurs exercent une pression énorme sur le monde agricole, alors qu’un dixième de ces projets seulement pourrait réellement se réaliser."
Les enjeux financiers pour les énergéticiens
L’agrivoltaïsme, un concept développé en France à l’Institut national de la recherche agronomique (Inrae), promet de rentabiliser l’utilisation de la lumière solaire en l’allouant à la fois à la production d’énergie et à l’agriculture. Selon les calculs de Christian Dupraz, directeur de recherche, 300 000 hectares d’agrivoltaïsme, soit 1 % de la surface agricole utile de la France, pourraient produire autant que l'ensemble du parc nucléaire actuel, le tout à un coût inférieur à celui de l’installation de panneaux sur les bâtiments.
Des grandes entreprises comme Eiffage et TotalEnergies dominent ce secteur en pleine expansion, attirant de nombreuses start-ups. Ces entreprises lèvent des fonds et promettent des contrats alléchants aux agriculteurs pour l’installation de panneaux solaires.
Une pression croissante sur les agriculteurs
Les promoteurs d’agrivoltaïsme sont actifs dans les campagnes, vantant les avantages financiers des projets. Benoît Deschamps, un agriculteur bio dans le sud de la Vienne, témoigne : "Après avoir montré mon intérêt, j'ai été contacté par plusieurs développeurs. Ils recherchent des agriculteurs en activité pour assurer la viabilité de la production." Cependant, beaucoup d'agriculteurs restent réticents face à cette approche. Pour certains, le processus d’installation peut sembler envahissant et déstabilisant, avec des milliers de projets potentiels en cours.
Antoine Nogier, président de l'association France Agrivoltaïsme, prévient que cette frénésie de projets pourrait créer une bulle. "Il y a des milliers de projets, peut-être même des dizaines de milliers, en développement aujourd'hui à travers le pays."
Un bras de fer entre agriculture et énergie
La France est sous pression face à des objectifs européens de production d'énergie renouvelable pour atteindre la neutralité carbone d'ici 2050. En 2020, elle a été la seule parmi les 27 États membres à ne pas atteindre ses objectifs de renouvelables, ce qui a conduit à une amende de 500 millions d'euros de l'UE.
Pour encadrer cette situation, une loi pro-agrivoltaïsme, promulguée le 10 mars 2023, a été mise en place. Toutefois, des experts craignent que les obligations et contraintes définies dans cette loi ne prennent pas en compte les réalités agronomiques. Christian Dupraz souligne que les études montrent que des taux de couverture supérieurs à 20 % compromettent les rendements agricoles, ce qui soulève des inquiétudes sur l'application de la loi.
Perspectives et impacts environnementaux
Le boom de l'agrivoltaïsme soulève des questions sur ses répercussions à long terme. Dans certaines régions, ces projets représentent un moyen de compléter des retraites modestes, mais cela signifie aussi des terres agricoles inutilisées qui sont perdues pour la production alimentaire.
Les études de la Ligue de protection des oiseaux (LPO) révèlent que l'implantation de grandes installations photovoltaïques perturbe les écosystèmes et la biodiversité. Les recommandations du Conseil national de la protection de la nature (CNPN) insistent sur la nécessité d’éviter des dégâts irréversibles sur la faune et la flore.
Conclusion
Alors que l'agrivoltaïsme promet des solutions à la crise énergétique, il soulève également des inquiétudes justifiées sur la sécurité alimentaire et la viabilité des petites exploitations agricoles. Les réponses des autorités, localement et nationalement, seront cruciales pour s'assurer que ce développement profite à tous, y compris aux agriculteurs qui craignent d'être écartés du paysage agricole au profit de grands investisseurs.
Dans ce contexte, la question demeure : l'agrivoltaïsme marquera-t-il un tournant positif pour l'agriculture française ou s'avérera-t-il être une nouvelle menace à sa pérennité ?